Le « choc des civilisations », expression chère aux sociologues, apparaît comme un non sens. Il y a d’innombrables cultures qui s’affrontent, alors qu’elles devraient se confronter, non seulement pour s’enrichir, de leur différence, mais aussi pour enrichir la civilisation, berceau des droits et des devoirs de l’Homme.
Les cultures sont reliées par des passerelles qu’il faut s’efforcer de franchir pour percevoir, par les rencontres et la recherche du dialogue, ce qui unit. L’autre qui est différent de moi n’est pas un rival, il m’enrichit au contraire de sa différence et je l’enrichit de la mienne. Et pourtant, à tous les stades de la société, la peur de l’autre est plus forte que le désir de rencontre et de dialogue.
Tout choc suscite une violence, alors que le dialogue implique par définition une pensée complexe nourrie par la curiosité qui permet de comprendre la structure mentale de l’autre. Intégrer le point de vue de l’autre, sans renier son propre point de vue est la condition essentielle qui permet de saisir le lien indissociable entre l’unité et la diversité qui fait la richesse de l’être humain.
Teilhard qui avait noué des liens avec des êtres humains de toute origine, qu’ils soient croyants, agnostiques ou athées, nous incite à prendre pour finalité le dépassement de l’Homme, permettant à chacun de devenir ce qu’il n’est pas encore, car l’Homme n’est pas, il devient. Pascal déjà sentait que chacun porte en lui son dépassement : « L’Homme passe infiniment l’Homme ». Dans une vision grandiose Teilhard entrevoit le dépassement de l’hominisation dans l’humanisation. L’avenir n’est pas à chercher dans un surhomme, mais dans la rencontre des Hommes en vue de former l’humanité. L’Homme n’est pas engagé dans un combat de civilisations, il doit au contraire se battre pour la défense des valeurs qui fondent la démocratie, passage obligé vers la rencontre des cultures. Evitons toutefois le piège qui nous entraînerait dans une société multiculturelle. Elle déboucherait sur le relativisme. On ne superpose pas des cultures différentes. C’est ainsi que le législateur a fermé les yeux, en France, sur la polygamie dans les années 80. De même, on ne supprime pas ce qui diffère. Superposition et suppression, deux écueils qu’il faut éviter pour que l’hominisation progresse vers l’humanisation.
Dans une quête d’union
entre les peuples, Teilhard nous met en garde : « Gardons-nous de l’effort stérile et insensé qui consisterait à
vouloir nous évader des choses sans les libérer avec nous. Ne les rejetons pas.
Mais, bien au contraire, aimons les et épousons-les dans leur essence qui est,
si l’on peut dire, de tomber laborieusement, en haut et en avant vers un centre
Commun. Pris dans le bon et vrai sens, le Multiple est de nature convergente.
Pour le réduire, il ne faut donc pas le supprimer, mais le prolonger au-delà de
lui-même ». (T.11, p. 52/53)
Plus près de nous, Edgar Morin a proposé à l’UNESCO de « créer, dans les diverses universités de la planète, des chaires de la compréhension humaine et culturelle, qui formeraient des hommes et des femmes de dialogue. »
Pour éviter l’affrontement des cultures dont les guerres de religions ont laissé les traces les plus sanglantes d’incompréhension et de rejet de l’autre, il est indispensable que des instances internationales puissent conjurer ce péril. Or ces instances n’existent pas. L’ONU est impuissante dans ce domaine.
Comment parvenir à créer des instances mondiales sans développer tous nos efforts pour édifier une structure préalable qui, pour notre culture, représente l’Europe ? En usant d’une métaphore, on constate qu’il est impossible de passer de l’atome à la cellule sans la structure intermédiaire de la molécule. En adaptant cette « logique du vivant » à la planétisation qui se cherche actuellement, on constate que la cellule Terre a besoin de molécules qui concourent à la formation de cette cellule et que ces molécules doivent intégrer des atomes encore isolés. Partant de cette « logique du vivant » L’Europe représente une de ses molécules à la recherche de ses atomes que sont les nations.
Hélas, l’Europe, passage obligé vers la mondialisation, suscite la peur de perdre les spécificités de sa propre culture. Les débats actuels sur la construction européenne sont, soit enracinés dans la nostalgie du passé, soit freinés par la peur de l’avenir. Le repliement sur soi, le retour des nationalismes, l’impact grandissant des intégrismes, sont le reflet de cette peur.
Pour que les Hommes puissent se reconnaître dans leur humanitude qui suppose leur diversité culturelle, l’éducation devrait comporter un enseignement sur la condition humaine. Pour savoir qui nous sommes, il faut relier nos connaissances à cette question préalable à toute curiosité culturelle : comment sommes-nous devenus ce que nous sommes ? Alors seulement nous pourrons soulever le voile qui recouvre le sens caché des choses et découvrir pourquoi nous sommes investis d’une responsabilité immense, en tant qu’êtres humains.
L’éducation a centré tous ses efforts sur un savoir spécifique. L’enseignement est fragmenté en disciplines isolées, sans liens entre elles, de sorte que l’ensemble des connaissances forme un puzzle incompréhensible dans lequel la condition humaine se perd.
Chaque culture possède ses spécificités. L’Occident a généré la démocratie et les droits de l’Homme, mais n’a pas acquis la sagesse de comprendre que la raison n’est pas capable de tout comprendre. Si l’Homme peut être déchiffré structurellement par la science, que représente-il subjectivement ? Il y a un surcroît de vie qui relève du mystère et développe en nous une intensité qui nous transcende. L’émotion, l’amour et l’art, nous donnent le sentiment d’être totalement soi-même, tout en se perdant dans quelque chose de plus grand que soi.
On apprend à se connaître et à connaître les autres, tout au long de sa vie. Mais c’est assez tard que chacun peut découvrir la richesse d’un parcours où résonnent la jubilation de l’enfance, la fougue de l’adolescence, la responsabilité de la maturité et la sagesse de l’âge avancé. Il en est de même pour l’humanité. Nous vivons encore dans son enfance. Les Hommes savent collectivement un tas de choses, mais ils n’ont pas atteint une vision globale suffisante pour utiliser ce savoir à des fins qui les fassent progresser en les unifiant davantage.
Si les rameaux d’une tige, pour être pleinement vivants, cherchent à se rapprocher, pourquoi l’humanité parvenue à harmoniser les cultures en les rapprochant, ne découvrirait-elle pas en elle un flux plus puissant que les précédents, parce que plus réfléchi, qui pousse chaque individu et chaque peuple à s’unir à tous les autres, pour s’achever ?
Teilhard
de Chardin résume admirablement cette synthèse : « En tout domaine de réflexion aussi bien religieuse que
scientifique, c’est seulement en union avec tous les autres hommes que chaque
homme peut espérer atteindre le bout et le fond de lui-même». (T.11, p.160)
Bernard Pierrat
De Bernard Pierrat à Jacques Chirac il n'y a qu'un pas...
Rédigé par : Mitsu | 27 septembre 2009 à 21:57